Enfin une prise de conscience de la nécessité d’une souveraineté numérique française ?

ParOlivier Giraud

Enfin une prise de conscience de la nécessité d’une souveraineté numérique française ?

Depuis la promulgation du « Cloud Act » américain et suite aux révélations du lanceur d’alertes Edward Snowden, nous savons que tout hébergement de données chez une entreprise américaine ou toute utilisation de ses services numériques, par une entité (entreprise, association, organisme public), est susceptible d’être scruté par l’administration américaine, ses agences et par extension, dans le cadre de la guerre économique internationale, par les adversaires américains de l’entité.

Certains pensaient que le « Privacy Shield » (accord sur le régime de transfert des données entre les Etats-Unis et l’Union Européenne) assuraient la conformité au RGPD pour toute donnée faisant l’objet d’un transfert aux Etats Unis. Mais depuis son invalidation le 16 juillet 2020 par la Cour de Justice Européenne, les illusions se sont totalement dissipées.

Désormais, il est temps de prendre conscience que la maîtrise de la souveraineté de vos activités passe par la maîtrise de la souveraineté des systèmes d’information (SI) qui les sous-tendent.

Une nouvelle ère digitale

Aujourd’hui à l’ère du monde digital, et de la guerre économique mondialisée, le numérique devient la base de toute activité professionnel, personnel, sociale et la donnée en est la matière première.

La souveraineté et la sécurité (intégrité, exhaustivité, disponibilité, résilience, respect de la vie privée) devraient en être les fondations.

La souveraineté, c’est la maîtrise technique et juridique de la gestion de ses données.

Or, à ce jour, l’Europe est dépendante des acteurs américains (les GAFAM) et asiatiques.

Or, l’extraterritorialité du droit américain, au travers en particulier du « Patriot Act » et du « Cloud Act » et la nature des régimes en Chine ou en Russie, ne permettent pas de garantir aux entités européennes que leurs activités et leurs données ne seront pas scrutées par ces états, leurs administrations et leurs agences de renseignement.

Un contexte favorable à l’action

Pour permettre aux entités européennes, la souveraineté et l’autonomie sur leur activités numériques, la France et l’Union Européenne doivent soutenir le développement d’une filière numérique de services d’hébergement cloud, de cybersécurité puis de services numériques, de classe mondiale.

Nous disposons pour cela en Europe, en particulier en France, d’atouts considérables. Il existe en France de nombreux opérateurs de cloud (dont le leader européen OVH) et de nombreuses entreprises spécialisées en pointe dans la cybersécurité. Cet écosystème a un fort potentiel. Nous disposons également de gros potentiels en intelligence artificielle, en cryptographie…

De plus, nous n’en sommes qu’au début de l’ère numérique. La multiplication des objets connectés boostée par la 5G crée de nouvelles opportunités d’usage, de nouveaux business modèles, de nouvelles cybermenaces.

Quels atouts potentiels d’une filière numérique souveraine

Une filière numérique (cloud et cybersécurité) souveraine européenne voir française, c’est, pour les entités (entreprises, associations, organismes publics) :

  • Une offre de services numériques innovante plus large.
  • Disposer et maîtriser de nos propres bases de données, riches et diversifiée ouvrant de nouvelles perspectives d’analyses et de recherches.
  • Maîtriser la gestion, la gouvernance et la sécurité des données et de ses activités.
  • Maîtriser la localisation géographique des données et des traitements.
  • Faciliter la maîtrise de la résilience des activités.
  • Des dispositifs performants de cybersécurité défensive mais aussi offensive.
  • S’assurer un cadre réglementaire commun tel que le RGPD.
  • Faciliter les recours juridiques grâce à des législations et des tribunaux locaux.
  • Faciliter la gestion des prestataires, leur contrôle et audit et la réversibilité des prestations.

C’est aussi l’opportunité de proposer des services respectant les valeurs européennes notamment la protection des données personnelles, le respect de la vie privée, le blocage des lois extraterritoriales des puissance hors Union Européenne. C’est donc proposer sur le marché numérique internationale une alternative de haute valeur par rapport aux offres américaines et chinoises. Une opportunité pour l’émergence de futurs leaders du numérique mondiaux en Europe et en France.

Enfin, pour l’Europe et la France, c’est potentiellement :

  • Des emplois,
  • Du développement économique,
  • Un instrument de suprématie, de concurrence dans le marché mondial du numérique,
  • Un dispositif de dissuasion contre des attaques numériques.

Prérequis et perspectives

Cela suppose toutefois, une offre large, innovante, performante et compétitive. Cela prendra du temps.

Les américains ont une avance considérable dans le numérique avec des services très performants et très compétitifs. La Chine a rattrapé une partie de son retard.

Nos entités nationales (entreprises, associations, organismes publics) utilisent déjà, pour nombre d’entre elles, les services des GAFAM et parfois d’acteurs chinois tels que Alibaba. Leur priorité devrait être de reprendre, a minima, la maîtrise de leurs données sensibles et critiques.

Et non, le chiffrement des données n’offre pas une assurance raisonnable de protection de vos données. Cela n’empêche par exemple pas le possible blocage de votre accès à vos données.

Désormais, il faut une volonté et surtout une vision politique à long terme sur le positionnement du pays dans le numérique. Une vision française et européenne, des budgets conséquents et des marchés publics réservés aux acteurs français et européens.

Il faut créer des formations sur le numérique à la hauteur des enjeux (des filières d’excellence), les conditions pour conserver les meilleurs talents, des crédits conséquents pour la recherche.

Il faut créer des organismes de défense, de veille et d’attaque français et européens.

L’initiative franco-allemande GAIA-X visant à définir les conditions à la création d’un cloud européen est-il le signe, enfin, d’une prise de conscience de ce besoin de souveraineté ? L’avenir nous le dira.

A défaut, la France et l’UE seront totalement dépendants des grandes puissances numériques et perdront totalement leur souveraineté.

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